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    HelloAsso : au bonheur des associations ?

    pitchum · Samedi, 23 Mars, 2019 - 08:06 edit · 7 minutes

Je partage ici une analyse par la coopérative Cliss21 qui s'inquiète du modèle économique de HelloAsso, qui irait dans une direction différente des valeurs affichées.

J'ai reçu cet article en PDF sur une liste de diffusion et le message incitait clairement à le diffuser. Je me suis dit que ça toucherait un plus large public si c'était diffusé ici, sur l'instance Movim de Bastet déjà mondialement connue... chez quelques membres de Parinux ;)


HelloAsso : au bonheur des associations ?

La plateforme HelloAsso a le vent en poupe, et touche de plus en plus d’associations. Elle se présente comme pouvant simplifier l’organisation de vos conférences – festivals – boutiques – voyages – soirées – cours – spectacles – compétitions – tournois – séjours – ateliers – stages – cotisations – courses – financements – concerts – projets au travers d’outils tels que :

  • gestion des dons
  • mise en place de crowdfunding
  • gestion des adhésions
  • paiement en ligne
  • billetterie

Le point fort par lequel HelloAsso se présente auprès des associations, c’est la possibilité, gratuite, de recevoir des dons sur internet.

Cliss XXI, depuis plus de 15 ans, propose aux associations de la région des solutions informatiques basées sur des logiciels libres, en pleine cohérence avec les valeurs du monde associatif, de l’éducation populaire et de l’économie sociale et solidaire : partage de la connaissance, réciprocité, transparence, mutualisation, entraide, ... En ce sens, nous ne pouvions que nous intéresser à l’offre HelloAsso, dont sont friandes nombre d’associations usagères de Cliss XXI.

L’occasion nous a ainsi été donnée de rencontrer la coordinatrice HelloAsso pour la région Nord, dans le cadre de la mise en place par HelloAsso des PANA, les Points d’Appui au Numérique Associatif. Elle a ainsi pu nous préciser qu’HelloAsso c’est 50 salariés, dont 16 développeurs·ses et 12 personnes au téléphone à l'assistance. 60 000 associations utiliseraient les outils de HelloAsso, qui connaît une expansion très forte : en un an, le nombre de salariés a doublé (25 en février 2018, 50 en février 2019). En 10 ans, ce sont 128 M€ qui ont été collectés pour les associations, dont 28M€ depuis septembre 2018 !

Lors de cette rencontre, il nous a semblé important d’aborder avec notre interlocutrice les points qui suivent.

I – Les outils numériques

Disons le d’emblée : les outils proposés sont sympa : HelloAsso est experte dans le paiement en ligne. C'est beau, c'est modulable, ergonomique, facile à intégrer, à utiliser... Mais... l’ensemble des outils proposés par HelloAsso sont propriétaires... Et l’argument avancé par la coordinatrice de HelloAsso sur ce point ne convainc pas : si HelloAsso était libre, il serait possible d’en modifier le code, et les dons n'iraient plus à destination de HelloAsso. Rappelons que de très nombreuses plateformes de e-commerce et de paiement en ligne sont diffusées sous licence libre, sans que cela n’entraîne, et heureusement, un détournement des sommes collectées.

Signalons également le choix d’HelloAsso d’héberger ses applicatifs chez la société Microsoft et de les développer avec les outils propriétaires de Microsoft (notamment ASP). Ces choix ne peuvent qu’interroger la SCIC Cliss XXI, tournée vers l’usage et la promotion des logiciels libres, en particulier pour les associations.

II – Les données

Notre interlocutrice nous le spécifie clairement : pour le moment, « HelloAsso ne commercialise pas encore les données des personnes qui utilisent la plateforme. »

Mais pour combien de temps encore, on ne sait pas. De la bouche de la personne rencontrée, un des axes de développement de HelloAsso c’est, nettement, la valorisation de ces données. Et puis, au-delà des données concernant les utilisateurs, HelloAsso se constitue une fabuleuse base de données concernant les associations elle-mêmes, leur terrain d’activité, leurs coordonnées, leurs ressources. À l’ère du Big data, où la donnée c’est de l’or, posséder une telle masse de données, qualifiées et ciblées, peut aisément donner des idées de valorisation, au sens strictement marchand du terme. L’exploitation commerciale du fichier des associations ne peut manquer d’intéresser des entreprises fournisseurs de biens et de services, de même que l’exploitation du fichier des donateurs peut séduire nombre d’intermédiaires en placements financiers...

Sans chercher à prédire l'avenir, on voit en tout cas que le terreau est propice. Dans les conditions générales d'utilisation utilisateur, par exemple, HelloAsso a pris soin de s'accaparer la propriété de tout ce qui circule sur sa plateforme, au-delà de ce qui est valable dans le droit français : « Toutes les informations, écrans, graphismes, données, textes, logiciels, musiques, sons, photographies, images, vidéos, messages, avis, opinions, ou commentaires de toute sorte ou tous autres matériels présents sur helloasso.com sont la propriété exclusive de HelloAsso ». Et puis, cela serait d'ailleurs cohérent avec le code NAF de la société : Activités des agences de publicité (7311Z).

III – Statut, et perspectives d’avenir

HelloAsso, contrairement à ce que présupposent la plupart des associations utilisatrices, n’est elle même pas une association ! C’est une société anonyme (SAS), détenue pour l’essentiel par une personne. HelloAsso est en attente de sa reconnaissance d’appartenance à l’Économie Sociale et Solidaire (agrément ESUS).

Pour Cliss XXI, c’est un point qui pose grandement question. Pourquoi ne pas avoir choisi directement un statut associatif, ou un statut clairement représentatif de l’ESS ?

Le statut de société anonyme a une conséquence immédiate : les associations utilisatrices ne sont pas associées à la vie démocratique de HelloAsso, qui est dirigée par un chef d’entreprise, en dehors de toute participation et de tout contrôle des associations usagères. On a ainsi un fonctionnement opaque de l’entreprise HelloAsso, bien peu conforme à la pratique du monde associatif, tourné vers la transparence. Si HelloAsso se veut « au bénéfice des usagers », pourquoi leur refuser la voix au chapitre ?

Enfin, le choix d’un statut de société anonyme ne peut que nous faire poser la question des intentions des fondateurs d’HelloAsso, concernant leurs perspectives d’avenir. Ce n’est pas leur faire un procès d’intention que d’imaginer qu’ils pourraient envisager, à court ou moyen terme, revendre l’entreprise HelloAsso ou devenir un gros opérateur commercial du secteur associatif. Des sites comme BlablaCar (ex covoiturage.fr) ont par exemple mené avec succès cette stratégie d'enfermement commercial d'un service qui se présentait comme communautaire. Ainsi la boucle serait bouclée : l’ensemble des données collectées par les applicatifs HelloAsso tomberait ainsi directement dans le marché de la donnée, poussé par un capitalisme de surveillance. Les associations utilisatrices deviendraient très clairement et très officiellement la cible d’entreprises marchandes fort éloignées des préoccupations et des valeurs du monde associatif. Si par ailleurs il n'existe pas d'alternative, les usagers seront liés à une politique à laquelle ils peuvent difficilement se soustraire.

Conclusion

En première approche, il nous semble essentiel que le monde associatif, ses réseaux, ses militant-es, bénévoles, salarié-es, posent un regard critique sur la réalité du système HelloAsso. Au-delà, c’est toute la question des outils numériques utilisés par les associations qui est posée :

  • le recours systématique à la technologie nous semble assez peu interrogé ;
  • malheureusement, ces outils sont souvent considérés par les associations comme neutres et sans enjeux ;
  • or, cette fausse neutralité recouvre à la fois de réelles considérations marchandes, ainsi que de forts enjeux en matière de sécurité et de confidentialité.

Pour qu'HelloAsso soit crédible pour promouvoir des valeurs de solidarité, il faudrait :

  • qu'elle libère ses outils, afin de permettre la décentralisation des collectes.
  • qu'elle s'inspire de son manifeste pour changer de modèle de gérance : privilégier le collectif à l'individuel. Les associations doivent avoir leur mot à dire sur un outil qui concerne leur quotidien.

Il importe alors que le monde associatif s’auto-organise, avec ses différents réseaux, pour se doter d’un éco-système numérique de confiance, contrôlé et maîtrisé par les associations elles-mêmes. Nous sommes bien conscient·es, qu'actuellement, il n'y a pas -- pour le service que rend HelloAsso -- d'alternatives recommandables, notre propos n'est pas de les inciter à quitter HelloAsso au profit de Paypal ou autre modèle dominant. Plutôt, à l'instar du Fond de Défense de la neutralité du Net (https://www.fdn2.org) qui a fédéré différentes organisations pour les financer, il serait logique et souhaitable que les collectifs qui souhaitent bénéficier de paiement en ligne se regroupent et s'organisent pour s'offrir un tel service. Enfin, nous appelons le monde associatif à se questionner sur ce recourt aveugle aux outils numériques : n'est il plus possible de s'associer sans avoir recours à ces géants de la technologie ? Ne pouvons nous pas simplement se voir, échanger, tisser du lien social ? C'est moins « rapide » et plus « exigeant » , mais, à minima, cela renforce le projet associatif.